Litterature: SF, Fantasy, Policier et autres...

Emmanuel Carrière - Je suis vivant et vous êtes morts (1993)

Tout d'abord, le titre est une célèbre citation du roman Ubik. Sous ce titre se cache en fait une biographie romancée de Philip K. Dick, écrite par un français, ancien critique de cinéma devenu auteur à succès.

Evitez ce livre comme la peste si vous avez l'intention de découvrir l'oeuvre de Dick ! En effet, Emmanuel Carrière, à travers l'analyse de plusieurs romans de l'auteur, nous raconte sa vie réelle et parfois fantasmée à partir de ses écrits et d'extraits autobiographiques. Vous saurez tout, absolument tout de ce que Dick a mis de personnel dans son oeuvre. L'analyse étant poussée jusqu'au bout, les intrigues et conclusions de ces différents romans ne nous seront pas épargnées ! Et même quand il aborde un roman mineur en quelques lignes juste pour illustré un propos, le résultat est le même. Pour une quinzaine de récit de Dick, cette biographie est un véritable spoiler ambulant ! L'auteur se permet même de ne pas citer certaines oeuvres pour vraiment dégouter celui qui les découvrira plus tard. J'imagine déjà la scène, lisant une histoire prenante pour se rendre compte en cours de route qu'on connait la fin… A part ce gros bémol de ma part, j'ai été séduit par ce livre.

Je ne vais pas vous résumer la vie de Dick ici, je n'en vois pas l'intérêt. Sachez que tous les aspects y sont abordés avec style et intelligence : son côté parano, sa vie conjugale mouvementée, sa mère à moitié cinglée, son rapport aux médicaments et à la drogue, sa folie, sa conversion au Christianisme, son illumination de 1974, son fameux cambriolage et j'en passe tellement la vie de Dick ressemble à ses livres. Il est amusant de constater que tous ces éléments se retrouvent dans ses romans et que l'obsession du héros dickien est en général celle de l'auteur lui-même. Le parallèle qu'Emmanuel Carrière en fait est vraiment bien trouvé et succulent à découvrir… Une bio qui se dévore comme un roman à suspense, il faut le faire !

Je ne pense pas devoir m'attarder plus longuement sur cette chronique, le seul message à retenir étant "un must read pour les fans de Dick qui ont déjà lu son oeuvre" !!

Et pour ceux qui voudraient savoir quoi lire avant d'attaquer cette bio en mode spoiler free : Le père truqué (nouvelle) / Le Temps Désarticulé / Le Maître du Haut Château / Les Clans de la Lune Alphane / Glissement de Temps sur Mars / En Attendant l'Année Dernière / Le Dieu Venu du Centaure / Blade Runner / La Foi de nos Pères (nouvelle) / La Vérité Avant-Dernière / Ubik / Au Bout du Labyrinthe / Coulez mes Larmes, dit le Policier / Substance Mort / SIVA / L'Invasion Divine / La Transmigration de Timothy Archer.

CITATION :
"Ce qu'il faut dans la vie, répétait Dick, c'est savoir réparer sa voiture. Pas n'importe quelle voiture, pas les voitures en général car rien n'existe en général. Il n'existe que des choses particulières, et celles qui se trouvent sur notre chemin devraient largement suffire à nous occuper. Tout le reste est dangereux. On commence par noter des répétitions saugrenues, imaginer des connexions rigolotes, et on se retrouve à croire qu'un dessein global régit tout, à vouloir le percer, bref on est devenu paranoïaque. Méfiez-vous, jeunes gens, il suffit de mettre un doigt dans l'engrenage. Et je sais de quoi je parle : c'est mon histoire".

Philip K. Dick - Le Zappeur de Mondes (The Zap Gun) (1965)

Je me suis rendu compte en cherchant des infos sur ce roman qu'il était méconnu du public et n'avait pas l'aura d'un classique de l'auteur, simplement une oeuvre mineure dans sa longue bibliographie. Cette histoire a été écrite à une période où Dick enchaînait les romans , la légende parlant de deux petites semaines pour en achever certains. Une chose qui se ressent fortement dans ce Zappeur de Mondes qui a pourtant beaucoup de qualités et parfois quelques défauts.

L'histoire se situe dans le futur, en 2005 (ceci n'est pas une faute de frappe) ! Le monde est scindé en deux entités distinctes : l'Ouest et l'Est. Ces deux blocs se livrent une course à l'armement via leurs concepteurs en chef respectifs : Lars Powderdry à l'Ouest et Lilo Toptchev à l'Est (et non il ne s'agit pas de cuisine). Et comme on est chez Dick, les deux ingénieurs dessinent les plans de leurs créations en état de transe provoqué par diverses drogues. Tout ce beau monde est dirigé par des cadres, détenteurs du secret de toute cette organisation entre l'Ouest et l'Est, dont l'essentiel de la population, les ouvriers, sont ignorants. Ce bel équilibre vacillera lorsque des satellites inconnus, c-à-d n'appartenant à aucun des deux blocs, apparaîtront dans le ciel…(*)

Outre le style parfois bancal de ce livre, du aux circonstances de son écriture, la lecture est très rapide tant les (petits) chapitres s'enchaînent à grande vitesse. On sent que l'auteur ne s'est pas pris la tête pour les détails et après une introduction propre à toute son oeuvre (chaque personnage a droit à son chapitre d'introduction, comme d'habitude), il se lance dans une deuxième partie de récit complètement folle en terme de retournements de situation. C'est bien simple, ça n'arrête jamais. On peut se demander si Dick savait à l'avance comment il finirait son livre tellement il explore les possibilités qu'offrent le récit. Lors du prétendu retournement ultime, j'y ai de suite vu la finalité du roman. Tout ce que Dick avait introduit dans la première moitié du récit avait été exploité et une fois n'est pas coutume, la surprise est là et il retombe sur ses pattes comme par magie (et/ou génie).

Tout ça n'empêchera pas d'avoir un goût de trop peu concernant certaines situations à peine évoquées, voire pas du tout . Quelques ellipses nous empêchent de vivre certains passages important de l'histoire… Voulu ou pas, une certaine frustration peut naître et se transformer en déception. Si vous ajouter à cela le sentiment d'être un peu perdu et ne pas savoir sur quel pied danser, on touche alors aux défauts principaux de ce livre. Trop de retournement tue le retournement !

Ce que je retiens de cette expérience, c'est l'aspect satirique du roman qui nous décrit un simulacre de Guerre Froide, la rendant carrément ridicule. Et comme Philip K. Dick est vicieux, il a inversé le postulat habituel de ses écrits. Cette fois, ce n'est pas un héros qui découvre un secret, mais un homme, déjà dans la confidence, qui se questionne sur l'utilité de cacher la vérité aux plus grand nombre. Et rien que pour ça, je dis bravo!

Moi qui aime être promené par les auteurs, et spécialement par Dick, j'ai beaucoup apprécié cette histoire dont, finalement, les défauts n'ont que très peu d'importance quand on se laisse aller aux délires de notre ami Philip !

CITATION:
"Eh oui, je parie que je peux lui citer plus de faits que tous ces pseudos "experts"  de la Forteresse Washington au sujet de l'oscillateur homéostatique anti-entropique convertisseur de phases à ondes sinusoïdes que Boeing utilise dans ses fusées interplan à grande vélocité LL-40 !".

(la drogue, c'est mal) :-D (ça c'est de moi)

(*) : J'ai évidemment simplifié la trame principale pour ne pas spoiler et gâcher un éventuel plaisir de découverte…

31ème tome des Annales du Disque-Monde
Jeu de Nains (Thud!) (*)
par Sir Terry Pratchett (2005)

Ah déjà le 31ème livre de la saga du Disque-monde… et 32ème que je lis. A l’heure où j’écris ces lignes, les romans numérotés comptent 35 livres auxquels il faut ajouter 5 romans « satellites » pour la jeunesse. N’ayant lu que le premier de ces romans ne faisant pas partie officiellement du cycle, je ne sais pas encore à quel point ils s’éloignent, ou pas, de ce que je connais. Bref, revenons à ce jeu de nains…

Samuel Vimaire, le Commissaire divisionnaire du Guet, se retrouve au centre d’une intrigue à base de conspiration (petite parodie de Da Vinci Code) et d’incitation à la « haine raciale » entre nains et trolls. En effet, l’anniversaire de la légendaire bataille de la Vallée de Koom approche à grands pas. Une bataille où nains et trolls se sont affrontés et dont la simple évocation attise la haine entre les deux espèces. Un remake de cette bataille est sur le point d’éclater et notre commissaire préféré va tout faire pour éviter qu’Ankh-Morpork ne s’embrase à nouveau !

C’est toujours avec plaisir que je me lance dans la lecture d’un roman du Disque-Monde, spécialement quand le héros est mon personnage préféré. Et ça fonctionne toujours, tant le début est accrocheur et promet un livre réussi comme la plupart du temps avec Terry Pratchett. Le contrat est ici « pratiquement » rempli. L’histoire est assez classique et pas franchement palpitante. Ajoutez à ça un petit ventre mou à mi-récit et vous obtiendrez, selon moi, les deux points faibles du livre. Tout ça aurait pu être fatal si on n’était pas chez Pratchett. L’enrobage du tout est, as usual, ce qui fait la force du Disque-Monde. Le style et l’humour rattrape les errances de l’histoire, comme à chaque fois.

On retiendra donc quelques passages excellents plutôt que la trame principale : un dialogue entre Vimaire et l’Archichancelier de l’Université Invisible, une rencontre avec la Mort assez subtile, une rivalité entre louve-garou et vampire, le secret que cache un tableau de 15 mètres sur 3 peint par un artiste complètement taré, l’histoire que lit Vimaire à son fils à 18h précise… Ce livre étant en partie une enquête policière, l’auteur a intelligemment caché des indices tout au long de l’histoire pour nous pondre un final tout à fait acceptable, même si ce n’est pas vraiment ça qui nous intéresse !

Il y un élément dans ce livre qui m’a beaucoup plu et qui est assez rare pour être souligné. Terry Pratchett a insufflé une certaine nostalgie dans l’histoire. Vimaire et les agents du Guet font référence aux anciennes aventures marquantes qu’ils ont tous vécu, histoire de faire vibrer la corde sensible du fan que je suis ! Je me suis même demandé à un moment si je n’étais pas en train de lire la dernière histoire les mettant en scène… Après vérification, il y en aura encore une…

Je ne pouvais pas finir sans écrire mon admiration pour le personnage de Samuel Vimaire. Le gars qui n’a rien demandé et qui de simple agent du Guet de nuit (si je me rappelle bien), deviendra commissaire divisionnaire.. et bien plus encore, je ne veux pas tout spoiler ici. Son sens de la répartie mixé à l’ironie qui le caractérise font toujours mouche. Et quand, en plus, il est de mauvaise fois, on a droit à quelques dialogues bien savoureux. J’ai hâte de lire sa dernière aventure… et relire les précédentes !

Bref, ce Jeu de Nains, sans être exceptionnel, reste dans les standards du Disque-Monde et offre une lecture très divertissante à défaut d’être vraiment marquante… Pour les connaisseurs, je le classerai au dessus du précédent, Timbré, mais définitivement en dessous d’un Ronde de Nuit ou La Vérité.

(*) Une fois n’est pas coutume, enfin un bon titre français, bien adapté et qui a du sens avec le livre ! Le Thud étant un jeu, un peu comme les échecs, où deux camps s’affrontent, les nains et les trolls… Ca aurait pu s’appeler « Jeu de Trolls » également…

CITATION:
S’amuser. Qu’est-ce que ça apporte ?
Ce n’est pas le plaisir, la joie, la délectation, le contentement ni la jubilation. C’est un petit salopard creux, pervers, cruel, un mot pour désigner ce qu’on recherche avec deux antennes tremblotantes et désopilantes sur la tête et les mots « Je suis en manque ! » sur la chemise, et à cause duquel on se réveille souvent la figure collée contre le pavé de la rue.

AINSI PREND FIN LA TROISIEME CHRONIQUE MORPORKIENNE DES ANNALES DU DISQUE-MONDE !

Troisième livre des Annales du Disque-Monde
La Huitième Fille (Equal Rites)
par Sir Terry Pratchett (1987)

Mot de l'auteur en ouverture de roman:

Je voudrais qu'il soit entendu que ce livre n'est pas farfelu. Seuls les rouquines idiotes dans les sitcoms des années cinquante sont farfelues. Non, il n'est pas loufoque non plus.

Notre histoire commence dans les montagnes du Bélier, dans le petit village pittoresque de Trou-d'Ucques… Le mage Tambour Billette, arrivé à la fin de sa vie, organise sa succession, qui s'effectue, comme le veut la Tradition, en passant ses pouvoirs, c-à-d son bourdon, à un huitième fils de huitième fils. Ce n'est qu'après le passage de la Mort, trop tard donc, que le mage se rend compte que le petit garçon est en fait une petite fille, Eskarina. La Tradition interdit à une femme de devenir mage. En grandissant, la petite Eskarina montrera certains talents pour la magie. Ses parents, effrayés par ses pouvoirs, la confiront à la sorcière Mémé Ciredutemps, qui décidera de l'emmener à Ankh-Morpork, à l'Université Invisible pour compléter sa formation, à l'encontre de la Tradition et de l'Archichancelier Biseauté. Un beau duel en perspective… ou pas !

La Huitième Fille est le premier roman qui met en scène les sorcières… Enfin une en particulier, Mémé Ciredutemps, qui deviendra un personnage récurent de la saga. Et quel personnage !! Parfois surnommée "la vieille bique", Mémé, Esméralda de son prénom, est complètement bornée. Souvent égoïste et de mauvaise humeur, elle possède un bon sens de la répartie comme les meilleurs personnages du Disque-Monde (Vimaire et Rincevent en tête). Sa rigidité d'esprit la rend insupportable pour les gens qui la côtoient mais sa détermination est sans faille. Tout ça nous donne une personnalité qu'on adore et qu'on retrouve dans toutes les aventures où elle apparaît. Il paraît que Terry Pratchett lui-même avait un faible pour elle !!

Ici, il ne reste pas grand chose des deux tomes précédents. La Mort fait une apparition en début d'histoire, on retrouve de nouveaux mages de l'Université Invisible. Nous faisons une première incursion dans les montages du Bélier, on retrouve Ankh-Morpork la Magnifique… Ce qui fait de ce livre une très bonne introduction aux Annales du Disque-Monde qui ne perdra pas le lecteur comme c'est parfois le cas dans le premier roman. A la première lecture, y presque 15 ans, je me souviens avoir été un peu déçu de ne pas retrouver les persos des deux tomes précédents. Une déception qui n'a plus lieu d'être aujourd'hui, en ayant une vision globale de la saga.

Tout ça ne m'a pas empêcher d'avoir une nouvelle déception à laquelle je n'aurais jamais pensé avant de relire ce livre. Je ne remets pas en cause la qualité du roman qui est toujours aussi savoureux et réussi… Non, le problème est ailleurs… L'auteur nous introduit de nouveaux mages, dont un Archichancelier assez sympathique qui n'apparaîtront plus par la suite. La bande de mages qu'on croisera régulièrement plus tard dans la série est excellente mais je pense que l'équipe de cette Huitième Fille avait peut-être un rôle à jouer dans le futur de la saga… La rencontre Mémé/Biseauté est assez bien exploitée et est la meilleure idée de ce roman à mon avis. Ceci dit, on ne sait pas vraiment à quel moment cette histoire se passe et je ne me souviens pas comment l'auteur a expliqué la succession des divers archichanceliers… Affaire à suivre donc !

Bref, le mot déception est un peu fort, il s'agit d'un petit bémol qui n'a en aucun cas parasité ma relecture de ce livre très amusant, où Pratchett nous invente un récit maîtrisé, moins brouillon que les deux précédents diront certains, mais toujours aussi passionnant. Le style aussi paraît moins "brutal", la lecture est un peu plus fluide et le mot fin arrive beaucoup trop vite, vivement la "suite"…

EXTRAIT 1:
Des rayons de lumière bleue perforèrent le couloir, s'agitèrent et dansèrent tandis que des formes indistinctes se traînaient dans la lueur aveuglante à l'intérieur de la chambre. Une lumière vaporeuse et actinique, de quoi pousser Steven Spielberg à contacter son avocat chargé des droits d'auteur.

EXTRAIT 2:
- Et il est où, ce bourdon, maintenant ?
- Elle a dit qu'elle l'avait jeté dans le fleuve…
Le vieux mage et la sorcière plus toute jeune s'entre-regardèrent, le visage illuminé par un éclair au dehors.
Biseauté secoua la tête. "Le fleuve est en crue, dit-il. Une chance sur un million."
Mémé eu un sourire sinistre. Le genre de sourire qui fait fuir les loups. Elle empoigna son balai d'un geste résolu.
"Les chances sur un millions, dit-elle, elles se réalisent neuf fois sur dix."

EXTRAIT 3:
Eskarina l'observait à travers ses larmes.
"C'est quoi ? demanda-t-elle.
- Du çatregardepas, répondit Mémé qui scella à la cire le bouchon de la fiole.
- Un remède ?
- Y a de ça." Mémé attira son nécessaire d'écriture et choisit une plume. Un bout de langue pointait à la commissure des lèvres, elle remplit méticuleusement une étiquette, avec force pauses et grattages de tête pour trouver la bonne orthographe.
"C'est pour qui?
- Madame Herapathe, la femme du souffleur de verre."
Eskarina se moucha le nez. "Çui qui souffle pas beaucoup, c'est ça?"
Mémé la regarda par-dessus son pupitre.
"Comment ça?
- Quand elle t'a causé, hier, elle l'a appelé le père Un-Coup-La-Quinzaine.
- Mmph" fit Mémé. Elle termina consciencieusement sa phrase : Dylué dans une painte d'o, vairsé une goute dans son té, maité des vaitments fassyl a anlevé et puy fairmé la porte pour pas aytre dérangés.
Un de ces jours, se dit-elle, faudra que je discute de ça avec elle.

AINSI PREND FIN LA QUATRIEME CHRONIQUE DES ANNALES DU DISQUE-MONDE !